Memento - Les EMI

© POUR LA SCIENCE - Neurosciences 105 dans cette récupération. La quantification de la substance blanche indique une réorganisation des connexions à longue distance dans le cortex postérieur médial, assurée par une repousse des axones, voire à une neurogenèse, déjà mise en évidence dans le cortex associatif des primates. Comme nous ne disposons pas d’« étalon de la conscience » objectif et validé, les résultats de l’imagerie cérébrale fonctionnelle doivent être utilisés avec prudence quand il s’agit d’établir si des patients ayant subi de graves lésions cérébrales ont ou non une perception consciente. En collaboration avec Mélanie Boly, de notre équipe, Adrian Owen, de l’Université de Cambridge, pro- pose de remplacer les stimulations externes utilisées pour détecter la « volonté sans action » chez les patients inca- pables de communiquer leurs expériences, par des scan- ners : on demanderait à ces patients de réaliser une tâche d’imagerie mentale, par exemple s’imaginer jouer au ten- nis, se promener chez soi ou se chanter une chanson. Si l’on constatait qu’une zone spécifique (toujours la même) s’active systématiquement lors de cette tâche dont l’exé- cution exige une action volontaire ou une intentionnalité, on pourrait considérer que cette activation reflète sans ambi- guïté une perception consciente. En revanche, des résul- tats négatifs à un tel test ne devraient pas être considérés comme des indicateurs de l’absence de perception consciente. Imaginer une partie de tennis en état végétatif ? En collaboration avec A. Owen, nous avons récemment étu- dié une patiente âgée de 23 ans en état végétatif depuis un accident de voiture. À notre grande surprise, nous avons constaté une imagerie mentale intacte chez cette patiente post-traumatique en état végétatif. Nous lui avons tout d’abord énoncé des phrases claires ou ambiguës, et observé une activation cérébrale proche de la normale en IRM fonc- tionnelle. Ces résultats indiquaient-ils que le traitement lin- guistique conscient était conservé ? Pas nécessairement. En effet, différentes études réalisées notamment durant une anesthésie générale ou le sommeil ont montré qu’un tel trai- tement se produit de façon automatique : on peut déduire de ces résultats qu’il est impossible de décider consciem- ment de ne pas comprendre des phrases prononcées dans sa langue maternelle. C’est la raison pour laquelle nous avons utilisé une autre démarche, et demandé à la patiente de réaliser une tâche d’imagerie mentale. Lorsque nous lui avons demandé d’imaginer qu’elle jouait au tennis, les aires cérébrales motrices se sont activées de la même façon que chez des sujets sains. Lorsque nous lui avons demandé d’imaginer qu’elle se promenait dans samaison, nous avons à nouveau vu des activations spécifiques dans le réseau de la représentation spatiale (voir la figure 6) . Ainsi, l’imagerie cérébrale fonctionnelle a révélé que la patiente, bien que cli- niquement en état végétatif, comprenait la tâche et l’exé- cutait de manière répétée : cette expérience attestait sans ambiguïté que la perception consciente subsistait. Que nous apprend cette étude ? Le diagnostic posé sur cette patiente était-il correct ? Cette patiente était bien dans un état végétatif, mais elle présentait une caractéris- tique clinique atypique : elle fixait brièvement du regard certaines personnes ou des objets. Quelquesmois après l’ex- périence, elle était capable de les fixer de façon prolongée, et de suivre sa propre image dans unmiroir. Ces signes indi- quaient une transition vers un état de conscienceminimale. Pour préciser les zones floues qui séparent les états végétatifs des états de conscience minimale, nous devrons multiplier les études de patients en état de consciencemini- male ou en état végétatif. Ce faisant, nous espérons préci- ser comment l’activité cérébrale évolue de l’état végétatif à celui de conscience minimale et lors de la récupération de la conscience. Toutefois, même si nous parvenons ainsi à découvrir les corrélats neuronaux de la conscience, il nous restera à comprendre comment une telle activa- tion coordonnée fait naître la conscience et si tous les pas- sages de la conscience à l’inconscience (coma, sommeil, anesthésie, etc.) ou les passages inverses impliquent les mêmes mécanismes. Steven LAUREYS est chercheur qualifié au FNRS (Fonds national de la recherche scientifique de Belgique) et travaille au Centre de recherche du cyclotron et dans le Département de neurologie du Centre hospitalo-universitaire Sart Tilman de l’Université de Liège. Theboundariesofconsciousness :neurobiologyandneuropathology , sous la direction de S. Laureys, Elsevier, 2005. S. L AUREYS , Death, unconsciousness and the brain , in Nature Reviews Neuroscience , vol. 11, pp. 899-909, 2005. S. L AUREYS , Theneuralcorrelateof (un)awareness:lessonsfromthevege- tative state , in Trends in Cognitive Sciences , vol. 9, pp. 556-559, 2005. Auteur & Bibliographie 6. Chez une patiente en état végétatif à qui l’on a demandé d’imaginerqu’elle joueautennisouqu’ellesepromènechezelle, lesaires cérébrales qui s’activent sont lesmêmes que chez des sujets témoins à qui l’on demande de réaliser la même tâche cognitive. Les aires motrices et les aires de la représentation spatiales demeurent actives même chez une personne en état végétatif. A.Owen et al., Science Document original : ICI

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